Le vent était frais en ce milieu du mois de Juin 3218. Il était 6 heures du matin, heure local, mais l’horloge sénatoriale n’était qu’une convention, et plusieurs millions de monde étaient représentés sur Sénata, centre névralgique de la galaxie. Le Sénat ne connaissait pas de repos, il n’y avait plus de nuit, plus de jour, plus de jours chômés quand la vie de trillions de citoyens était en jeu. Les abords du Sénat grouillaient d’activité et le ciel obscurcit par de denses nuages noirs semblait gronder, mais ce qui pouvait être pris pour un roulement de tonnerre interminable n’était que la rumeur incessante des véhicules anti-gravité qui déchargeaient leur lot quotidien de hauts fonctionnaires et d’employés administratifs. Les droks affectés à l’entretien des bâtiments achevaient de retirer les affiches de propagandes éculées qui avaient été collées durant la nuit. Sur l’une, on pouvait lire « Lé sénateur son tous pouri », sur une autre s’étalait en noir « J’enmerde planetium ». La décrépitude intellectuelle de la planète se confirmait de jour en jour… Les Empereurs allaient et venaient, la plupart n’accordaient qu’un bref regard exaspéré à ces multiples preuves de décadences.
Un homme avançait dans les rues de la cité, se dirigeant vers le Sénat d’un pas bancal. Il s’arrêtait parfois pour contempler l’immense bâtisse d’un regard amorphe avant de reprendre sa route. Ses vêtements étaient déchirés en plusieurs endroits et une tache de sang coagulé souillait le dos de sa chemise. Il atteint enfin l’escalier vertigineux qui conduisait à l’entrée numéro 2 de l’aile ouest, activa d’une main tremblante la commande de l’ascenseur a suspenseurs et entra dans le hall. Une voie synthétique retentit aussitôt :
« Alerte ! Votre authentification biométrique a échoué. Veuillez lever les bras, garder vos mains en vue et rester immobile jusqu’à l’arrivée des forces de sécurité. Je répète… »
L’homme ne ralentit pas. Il avança de quelques mètres et parla d’une voix tourmentée : « Ecoutez moi, je dois vous faire passer un message. Il m’a libéré pour que je vous mette en garde ! Vous devez m’écouter. Il offre puissance et richesse à qui veut Le servir et souffrance éternelle aux autres. »
Les haut-parleurs du service de sécurité continuaient leur rengaine, mais cela ne semblait pas gêner notre homme qui poursuivait : « Je ne L’ai pas pris au sérieux. Il m’a fait connaître la souffrance… tant de souffrance ! Oubliez tout espoir, car l’Empathie n’a plus sa place en ce monde. Collaborez, c’est le seul moyen que vous aillez d’éviter de servir d’appât. L’espèce humaine périra, vous n’y pourrez rien ! »
Un escadron de sécurité sénatoriale débarqua. Les soldats à l’uniforme noir frappé du sigle de Sénata encerclèrent rapidement l’intrus, brandissant fouets neuroniques et éclateurs. L’un d’eux cria : « Monsieur, ne faites pas de mouvements brusques, levez les mains en l’air, déclinez votre identité et la raison de votre présence en ces lieux. Est-ce que vous m’avez compris ? ».
L’homme poursuivit comme si de rien n’était : « L’Intelligence Ultime existera, Elle supplantera vos Dieux, Elle éliminera nos sentiments ! Nous reviendrons à l’état d’animaux et nous disparaîtrons ! Acceptez le et servez le Gritch ! Il saura vous récompenser, Il vous offrira tant et tant de choses ! Si vous refusez cette offre, vous finirez empalés sur l’Arbre de la Douleur comme je l’ai été ! Tans de siècles de souffrance ! Je suis enfin libéré ! »
Il leva la tête vers le plafond. Des larmes coulèrent le long de ses joues. Dans un sanglot, il bafouilla une imploration emprunte de terreur : « Seigneur de la Douleur, j’ai obéis à vos ordres ! J’ai fait passer votre message ! Ô Seigneur, je vous en supplie, accordez moi la délivrance comme vous me l’aviez promis ! »
Les gardes s’étaient approchés, tenant l’homme en joue. Celui qui avait pris la parole un peu plus tôt parla : « Monsieur, personne ne vous fera le moindre mal. Levez les mains afin que nous puissions les voir et laissez nous… » la phrase mourut sur les lèvres du soldat. L’homme venait de s’effondrer en se tenant la poitrine. Son visage était figé dans un étrange sourire…
Un attroupement s’était formé autour de la dépouille de l’inconnu. Les soldats entreprirent immédiatement de disperser la foule tandis que leur supérieur demandait des instructions via son bloc poignet.